Budapest - Comment Viktor Orban, ancien opposant au régime communiste, a-t-il embarqué son pays sur la voie d'un populisme aux accents nationalistes ?

Revenu au pouvoir en 2010, candidat dimanche à un troisième mandat d'affilée, le Premier ministre a lancé une "contre-révolution" qui a mis en lumière les fractures entre l'est et l'ouest de l'Europe.

Mais ce discours "illibéral" n'est plus isolé dans un contexte de montée des mouvements populistes sur l'ensemble du continent.

Métamorphose d'un dissident

Le parti Fidesz de Viktor Orban est né en 1988 comme un mouvement progressiste tourné vers les nouvelles générations et défendant la démocratie parlementaire.

Constatant, à la fin des années 90, que le terrain politique à gauche était déjà occupé, alors que l'espace de la droite était à prendre, Viktor Orban fait progressivement évoluer sa formation.

Vainqueur des élections de 1998, Premier ministre à 35 ans, Orban perd de justesse le scrutin de 2002 et considère que cette élection lui a été volée par les socialistes -anciens communistes-, contre lesquels il développe une rhétorique agressive.

Parallèlement, observe le politologue Jacques Rupnik, spécialiste de l'Europe centrale, le dirigeant a l'intuition de s'adresser à "l'autre Hongrie", celle des laissés pour compte de la transition vers l'économie de marché et celle sensible aux traumatismes de l'histoire nationale -comme le Traité de Trianon de 1920 qui a disloqué "la grande Hongrie". Il élabore à leur intention un discours prônant un Etat fort et une nation protectrice.

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Portrait de Viktor Orban, Premier ministre hongrois qui brigue dimanche un troisième mandat d'affilée 

"Contre-révolution"

Cette rhétorique empreinte de patriotisme trouve un terrain fertile car la fin des années 2000 signe "l'épuisement du cycle libéral" entamé après 1989 dans l'espace post-communiste, écrit Jacques Rupnik.

Ce cycle a permis à l'Est de faire "une triple transition vers l'économie de marché, la démocratie et l'intégration à l'UE". Mais, relève le chercheur, ces trois marqueurs de l'Ouest sont ébranlés les uns après les autres: crise financière de 2008, attaques terroristes, crise migratoire et Brexit.

Face à ces désillusions, la Hongrie, suivie par la Pologne, prêche une "contre-révolution culturelle": gouvernement démocratiquement élu mais restriction de certains droits (justice, médias, ONG), de libertés économiques et sociétales (refus du multiculturalisme), au nom de la défense de la nation et de la majorité souveraine.

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L'assemblée nationale hongroise sortante, répartition par partis 

Panique démographique

La vague migratoire de l'année 2015 a montré que "l'Europe de l'Est envisage les valeurs cosmopolites qui sont au fondement de l'UE comme une menace alors que pour de très nombreux citoyens de l'Ouest, ces valeurs sont le coeur même de l'identité européenne", écrit Ivan Krastev dans son récent ouvrage "Le destin de l'Europe".

Pour le politologue bulgare, la crise des réfugiés et la question de leur répartition en Europe a exacerbé la fracture Est/Ouest. Mais au lieu de condamner les pays comme la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie, la République tchèque qui refusent l'accueil de migrants, il appelle à essayer de les comprendre: après des décennies d'isolement dans le bloc communiste, ces sociétés n'ont été que récemment confrontées à l'immigration qu'elles perçoivent comme un péril pour leur identité.

Car l'identité reste construite à l'est de l'Europe sur une vision ethno-culturelle de la nation, homogène linguistiquement et religieusement, assure-t-il. Affligée d'une natalité en berne et d'une émigration massive, malmenée par l'histoire, l'Europe centrale est angoissée par l'idée de sa propre disparition et de la dissolution des valeurs.

La Hongrie, passée sous la barre symbolique des dix millions d'habitants, a perdu 850.000 habitants en 35 ans.

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La Hongrie

Contagion populiste et garde-fous

Rejet des élites libérales, repli identitaire, revendications souverainistes: les tendances à l'oeuvre en Hongrie et dans plusieurs pays d'Europe centrale s'incarnent aussi sous des formes diverses à l'Ouest, confronté à la progression électorale des partis populistes.

Viktor Orban compte de nombreux supporters au sein des extrêmes droite européennes, de l'AfD en Allemagne au FPÖ autrichien ou le Front national français, en passant par certaines formations conservatrices, qui voient en lui un modèle.

Pour autant, le dynamisme de la société civile en Europe centrale contredit l'image de pays figés dans leur résistance au progressisme: Viktor Orban a été contesté par plusieurs vagues de manifestations populaires, notamment en 2017, qui font écho aux mobilisations en Pologne contre les réformes de la justice et de l'avortement ou plus récemment en Slovaquie, après le meurtre d'un journaliste.

Par Sophie Makris

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