Pristina - A l'heure du départ, la justice européenne qui a officié dix ans au Kosovo, est célébrée dans les discours officiels mais fustigée par la rue: la mission Eulex s'en va sur un bilan critiqué.

Cette mission "Etat de droit" de l'Union européenne (European Union Rule of Law Mission in Kosovo), qui a cessé le 14 juin toute activité d'enquête et de jugement, avait été installée en décembre 2008, dix mois après la proclamation d'indépendance du Kosovo.

Moyennant plusieurs centaines de millions d'euros dépensés en une décennie, des centaines de magistrats et de policiers ont été envoyés avec pour missions d'élucider les crimes les plus graves commis durant et après la guerre entre la guérilla kosovare albanaise et les forces serbes (1998-99), de s'attaquer à la corruption et au crime organisé, et de bâtir la confiance entre les Kosovars et leur système pénal.

"J'ai toutes les raisons d'être mécontente d'Eulex", lâche à l'AFP Silvana Marinkovic, 46 ans. Comme 1.600 autres, la disparition de son mari Goran à la fin de la guerre, reste sans réponse. "Ils n'ont même pas essayé de résoudre mon problème", dit cette femme appartenant à la minorité serbe.

- "Héritage visible" -

Alexandra Papadopoulou, diplomate grecque chargée de gérer la fin de mandat d'Eulex, défend "un héritage visible au Kosovo, avec de nombreuses réussites évidentes". Elle met en avant 648 verdicts rendus. Un satisfecit partagé par le président Hashim Thaçi selon qui "les institutions du Kosovo ont extraordinairement bénéficié de leur coopération avec Eulex".

Mais après une décennie, le Kosovo est classé au 85ème rang du classement sur la corruption de Transparency International, devant l'Albanie mais derrière la Serbie. Dans son dernier rapport, la Commission européenne relève que "la corruption est répandue et reste un motif d'inquiétude" pour ce territoire d'1,8 million d'habitants.

Ironisant sur la promesse qu'Eulex s'en prendrait aux "gros poissons", le quotidien Zeri la décrivait récemment comme "une mission pour pêcher les petits poissons".

Sur les trois principaux chefs rebelles jugés, Sami Lushtaku et Fatmir Limaj ont été acquittés, quand Sylejman Selimi a été condamné à huit ans de prison pour tortures sur des prisonniers.

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Des Albanais du Kosovo brandissent des portraits de Sylejman Selimi, ancien commandant de l'Armée de Libération du Kosovo (UCK), condamné à 8 ans de prison, lors d'une manifestation à Pristina le 17 juin 2015. Photo: Armend Nimani/AFP

Parmi les assassinats non élucidés, celui du journaliste Xhemail Mustafa abattu en bas de chez lui en 2000. Ancien conseiller du président Ibrahim Rugova, il dénonçait dans ses éditoriaux la violence exercée par les guérilleros de l'Armée de libération du Kosovo (UCK) contre leurs opposants.

Pour sa fille Beriane Mustafa, 36 ans, Eulex "a complètement échoué": "Je ne comprends pas comment une mission de l'Union européenne, avec tous les moyens dont elle disposait, n'a réussi à résoudre aucun de ces meurtres..."

- Aucun viol de guerre puni -

La guerre du Kosovo a fait 13.000 morts. Selon l'ONG Humanitarian Law Centre, spécialisée dans les crimes de guerre dans l'ex-Yougoslavie, seuls 25 cas ont été résolus. "Il y a eu des milliers de victimes d'une politique de viols systématiques commis par les forces serbes; il n'y a pas eu un seul cas résolu ni un seul coupable puni", poursuit l'ONG dans un communiqué à l'AFP.

"Eulex est un échec", "une très bonne idée (...) très mal mise en oeuvre", tranche l'Italien Andrea Capussela, ancien haut responsable de l'International Civilian Office (ICO), l'organe international qui était chargé d'accompagner la mise en place d'institutions au Kosovo, et auteur d'un ouvrage sur le sujet "State-Building in Kosovo: Democracy, Corruption and the EU in the Balkans".

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Fatmir Limaj, commandant de l'UCK, à Pristina le 30 mars 2012

Pour l'expert italien, "durant les dix ans de mandat d'Eulex, l'Etat de droit ne s'est pas renforcé au Kosovo, mais semble au contraire s'être affaibli". Il en rend responsables "l'incompétence de l'encadrement, l'opportunisme et un choix politique de ne pas remettre en cause le statu quo".

Même si elles n'ont pas été démontrées, plusieurs allégations de corruption parmi ses magistrats n'ont pas amélioré l'image d'Eulex auprès des Kosovars. "Il aurait mieux valu que l'Europe ait investi cette énorme quantité d'argent dans la création d'emplois", soupire Jonuz Muftiu, un avocat en retraite.

Eulex "n'a jamais été mis en place pour résoudre avec une baguette magique en l'espace de quelques années, tous les problèmes du Kosovo sur les questions d'Etat de droit", répond Alexandra Papadopoulou.

Ariana Qosja, du centre de réflexion indépendant KIPRED spécialisé dans les questions de sécurité, est pessimiste sur les enquêtes inachevées d'Eulex, "désormais transmises à la justice locale": au Kosovo, "l'institution judiciaire reste sous le contrôle du politique".

Par Ismet Hajdari

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