Berlin - La crise que traverse Angela Merkel illustre la fin de "l'exception" allemande, sous l'effet de changements tectoniques à l'oeuvre dans un pays qui a longtemps paru immunisé face aux turbulences politiques et à la vague populiste.

Stabilité: ce mot est ancré dans l'ADN allemand d'après-guerre, qu'il s'agisse de la monnaie ou de la vie politique, longtemps rythmée par une culture du consensus et du compromis entre partis, qui s'étend jusqu'au domaine économique et social avec la cogestion.

Un gouvernement "stable est notre marque de fabrique, comme le made in Germany", a dit mardi 21 novembre le bras droit de la chancelière, Peter Altmeier.

C'est avec d'autant plus de stupeur que les Allemands découvrent qu'une page est en train de se tourner: le nouveau gouvernement est introuvable suite à des élections législatives déjà choc en septembre, marquées par une atomisation du paysage politique et une percée historique de l'extrême droite.

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Répartition en sièges du Parlement allemand élu le 24 septembre 2017

 Répartition en sièges du Parlement allemand élu le 24 septembre 2017 alors qu'Angela Merkel se retrouve confrontée à sa plus grave crise politique en 12 ans de pouvoir après l'échec dimanche soir de négociations pour former un gouvernement

"Nous sommes confrontés à une situation jamais vue dans l'histoire de la République fédérale d'Allemagne, à savoir 70 ans", a souligné lundi le chef de l'Etat, Frank-Walter Steinmeier face au blocage.

- Séisme -

En attendant de possibles nouvelles élections, la première puissance économique européenne va être politiquement aux abonnés absents. Pour Thomas Kleine-Brockhoff, vice-président de l'institut German Marshall Fund, "un tremblement de terre politique a frappé l'Allemagne".

Judy Dempsey, de la Fondation Carnegie Europe, va même jusqu'à penser que "l'Allemagne est devenue le nouveau problème de l'Europe, quoi que fasse Merkel". 

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Les coalitions de gouvernement possibles au 19e Bundestag allemand, en nombre de sièges et par rapport à la majorité au Parlement 

"Il faut faire son deuil de l'idée que ce pays, sous la houlette de Merkel, est forcément prévisible et stable", ajoute-t-elle dans une note d'analyse. Et ce au moment où l'Europe est déjà confrontée au Brexit, aux tendances autoritaires dans certains pays d'Europe de l'Est, aux velléités indépendantistes de la Catalogne ou à une crise économique qui menace toujours.

Pendant des décennies, l'Allemagne a connu une alternance paisible entre le parti conservateur CDU, aujourd'hui dirigé par la chancelière Angela Merkel, et les sociaux-démocrates du SPD. Avec le parti libéral FDP comme "faiseur de roi". 

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Chronologie des gouvernements fédéraux allemands de coalition de 1949 à 2017 avec la possible coalition dite "Jamaïque" après le scrutin du 24 septembre 

Chronologie des gouvernements fédéraux allemands de coalition de 1949 à 2017 avec la possible coalition dite "Jamaïque" après le scrutin du 24 septembre 

Les choses ont commencé à se compliquer et à s'émietter pour l'offre politique à gauche à partir des années 1980 avec l'irruption des Verts au Parlement, puis des années 1990 avec les successeurs du parti communiste de RDA, dont la gauche radicale actuelle (Die Linke) est l'héritière.

Cette année a marqué l'heure des chamboulements à droite. La CDU et son allié chrétien-social bavarois (CSU) ont longtemps eu pour ambition d'empêcher quiconque de les déborder.

Ils doivent déchanter. Portée par le mécontentement d'une partie de l'opinion après l'arrivée de plus d'un million de demandeurs d'asile, l'extrême droite de l'Alternative pour l'Allemagne a fait une entrée historique à la chambre des députés fin septembre.

- 'Version allemande du Brexit' -

La digue qui semblait empêcher qu'un parti nationaliste puisse entrer au Bundestag en raison du souvenir du passé nazi a sauté.

Dans le même temps, le FDP, autrefois parti europhile et modéré, a fait sa mue et a réussi son retour au Parlement sur un programme aux accents eurosceptiques et anti-migrants. Un positionnement clairement à la droite de la CDU, pour occuper un espace politique rendu libre par la politique centriste d'Angela Merkel.

"La chancelière a déplacé son parti vers la gauche au moment où le pays bougeait vers la droite", estime un proche de la CDU sous couvert d'anonymat.

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Grandes dates de la vie de la chancelière Angela Merkel 

 Grandes dates de la vie de la chancelière Angela Merkel

Dimanche, les Libéraux, rompant avec les habitudes, n'ont pas hésité à créer un vide politique inédit dans le pays en mettant fin aux négociations pour former un gouvernement.

"La crise de la démocratie parlementaire, qui a transformé profondément le système partisan de nombreux pays occidentaux, a atteint désormais l'Allemagne, c'est la version allemande du Brexit, de Trump", estime l'hebdomadaire Der Spiegel.

Pour Thomas Kleine-Brockhoff en tout cas, "l'Allemagne s'est normalisée de manière spectaculaire ces derniers mois, pour le meilleur ou pour le pire". C'est la "fin d'une phase d'exceptionnalisme allemand" et "l'Europe va devoir vivre pendant longtemps sans l'effet calmant d'une Allemagne stable".

Par Yacine Le Forestier

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